Qui est la comtesse Anna de Noailles ? Qu’apporte t-elle à la poésie ? C’est avec cette question en filigrane que j’achetais ces temps derniers une anthologie de poche de son oeuvre, intitulée « anthologie poétique et romanesque ». Une première constatation à la lecture de cet ouvrage, les passages romanesques choisis ont sans doute été plus travaillés que les passages poétiques. En effet, quand on lit des poèmes d’Anna de Noailles la première impression qui se dégage de ses écrits est qu’il s’agit d’abord d’une poésie de société avant d’être une poésie du tombeau comme on peut le penser à la lecture de quelques titres.
Ainsi, en plongeant dans les extraits de ses nombreux livres, on n’en apprend vraiment peu sur la condition féminine de son siècle et de même sur la condition du poète .C’est donc surpris que l’on constate que son premier ouvrage « le cœur innombrable » ait été primé à l’académie française. Mais la vérité est souvent manifeste à des altérations, peut-on dire que Anna de Noailles était une poète surfaite, d’une poésie de Salon, amusant ces dames et ces messieurs ? Je ne le pense pas.
Il suffit pour cela de reprendre les mots de cette poétesse pour comprendre le sens de son écriture. N’est ce pas elle qui à la fin de sa vie écrivant ces quelques mots à son éditeur Bernard Grasset résume en un instant sa quête poétique dans un recueil intitulé « exactitude » . Elle reprend une phrase de Jean Rostand écrivain dont on reprocha un compagnonnage nazi d’idée , cette phrase étant « Seul importe dans l’oeuvre le peu qu’on est seul à pouvoir écrire ».
Et c’est un peu la question pour tout poète ou écrivain « qu’est-on capable d’écrire « ?
Cet humilité face à l’écriture est tout de même à contrebalancer, la comtesse de Noailles étant parfois plongée dans un culte du moi rappelant son grand amour Maurice Barrès.
Mais le plus intéressant dans son oeuvre, se situe pour l’anthologie que j’ai pu me procurer à la fin de sa vie avec des œuvres comme les forces éternelles ou encore l’honneur de souffrir.
C’est dans ces instants magiques qu’apparaît le culte de la tombe, le culte du mort, un culte qui prend dans les mots de la comtesse un caractère presque universel. Notamment quand elle exprime son rapport entre l’homme né et sa mère ou encore lorsqu’ elle expose avec ironie le cas des véritables morts, précédant un poème intitulé prédestination. La comtesse semblant croire au destin et à l’amour sacré même si et c’est ainsi que se finit d’ailleurs l’anthologie la concernant elle écrit dans le poème « Nous ne sommes jamais tout éloignés…. » qu’elle a vanté cet accord.
Faisant la femme vantarde des avantages de l’amour face au tracas certainement du quotidien. Mais l’image n’est-elle que féminine ?
Les interprétations guitare voix improvisées présenteront un premier texte tiré du livre les forces éternels appelé « Continuité ».
Et un extrait de deux poèmes du recueil l’honneur de souffrir.
(casque audio ou baf stéréo conseillés, enregistrement à faible niveau sonore)
CONTINUITÉ
Les véritables morts sont les cœurs sans audace
Qui n’ont rien exigé et qui n’ont rien tenté ;
Sous l’azur frénétique où d’autres sont rapaces
Ils n’ont pas bu l’espoir, ni dévoré l’été.
Ils n’ont pas su souffrir comme il convient qu’on souffre,
Sans plus pouvoir manger, dormir, ni respirer,
Pareils à ces poissons livides et nacrés
Qui gisent, arrachés hors du bleuâtre gouffre.
Le bonheur turbulent, qui réjouit les airs
Et jette un cri panique à quoi tout se rallie,
A vu ces cœurs peureux préférer leur désert
Au risque illimité de la mélancolie ;
Cependant tout est vif, continuel et sûr
De ce qui fut ! J’ai vu, sur une antique grève,
Des temples, absorbés par le sable et l’azur,
Prolonger le divin et poursuivre leur rêve.
Ainsi, les corps hardis, dont les vœux exaucés
Mêlent la joie au fiel que les Destins imposent,
Porteront dans la mort et ses métamorphoses
Le plaisir obtenu, qui ne peut pas cesser…
Les Forces Eternelles (1927)
(casque audio ou baf stéréo conseillés, enregistrement à faible niveau sonore)
L’honneur de Souffrir (1930)
LXIII
La femme, durée infinie,
Rêveuse d’éternels matins,
Dans la puissance de l’instinct
Veut créer. Mais cette agonie
Plus tard, un jour, de son enfant,
Cette peur, ces sueurs, ces transes,
Ce mourant que rien ne défend,
En garde-t-elle l’ignorance?
Et toute mère, sans remords,
Triomphante et pourtant funèbre,
Voue une âme aux longues ténèbres,
Et met au monde un homme mort…
———————————————-
Je n’aurais pas été moi-même
Sans chacun de vous!-Clairs esprits
A qui j’ai tout offert, tout pris,
Immortellement je vous aime!
Les jours, longuement assemblés,
Me conduisent vers vos espaces;
Je songe tendrement qu’on passe
Et que je vais vous ressembler!
Déjà un sombre amour pudique
M’unit à ces âmes sans corps.
– J’étais une vivante unique,
Je suis à présent tant de morts!
Ping : Free Piano