Tristan L’Hermitte poète du 17 ème siècle présente dans une tragi-comédie intitulée « La folie du sage » l’histoire d’Ariste, un philosophe.
Ariste, un philosophe ayant eu un parcours d’excellence, fait d’honneur et de travail se retrouve au service d’un roi qu’il juge bienfaisant. Mais ce roi, trahissant sa confiance, lui prend sa fille pour en faire probablement une courtisane jusqu’à la mort ce qui rend le philosophe fou de chagrin. Le secours d’un médecin se présente alors comme une discussion tragi-comique qui finit sur une demande de résurrection.
Ce texte poétique du 17 ème siècle est intéressant car la folie du sage se présente comme l’explication entre le médecin et son patient. De nos jours cette question lorsqu’on voit un médecin ne se pose probablement pas de cette façon quotidiennement mais ce texte de Tristan L’hermitte est utile pour nous rappeler le sousjacement de tous questionnements.
Voici un extrait du texte que je vous propose de découvrir dans une version légèrement remaniée, le texte original que vous pouvez retrouver sur internet (folie du sage oeuvre de tristan l’Hermitte ) étant dans un mélange de nouveau et d’ancien français.
Sous quel astre cruel ay.je reçu la vie
Tour me la voir de honte ou de douleur ravie !
Quels Dieux aj’je offensez, auecque tant d’excez»
Qui donnent à mes voeux de fi mauvais succez, ?
Quelle Etoile maligne Influant les misères ,
Et melant du poison dans les choses prosperes:
A changé si soudain l’estat de mon bonheur ,
Me rauissant le bien, le credit & l’honneur?
le ne puis raisonner parmy tant de disgraces :
Toutesfois de mon sort suivons un peu les traces
Les brillans feux du Ciel lors que je viens au jour
Ont moins en leur affreâ de haine que d’amour,
La Nature est en moy. puisante & vigoureuse ,
t*Au iugement de tous mon enfance est heureuse.
Ón m’éleve , on m enseigne,et d’un soin curieux
On me nourrit toujours en la crainte des Dieux ?
J’aprens heureusement les Arts et les Sciences
On pratique pour moi de grandes Aliances^
Le soin de mes parens me donne vne moitié
Digne de mon estime , de mon amitié.
le riay de nostre amour quvne fille pour gage :
Mais quoj i c’est vne fille fort belle fort sage
Et sur cette heritiere auec iuste raison
le puis sonder l’estoir de l’heur de ma Maison.
Pour la combler bien-tost de richesse & de gloire-,
J’entre aux Conseils d’vn Roy l’ornement de l’ Histoire ,
Qui maintenant le lustre & la vigueur des Lois
Trafique dignement la science des Rois,
Je quitte mon repos pour suivre sa fortune ,
le prens ses interefls d’vne ardeur non commune ;
L honneur de bien agir est mon ambition ,
Exempte de foiblesse et de corruption,
Je le fers auec foj, diligence et courage ,
Et ie preten beaucoup d’vn Monarque si sage
Toutefois quand il dit qu’il l me fera du bien ,
Lors que i’espere tout ce que ie ne crains rien,
Ce Monarque equitable maccestible au vice ,
De naturel clement (et qui hait l’injustice
Luy que toute la terre estime vn si bon Roy ,
Devient cruel, injuste, & violent pour moi
Vne illicite ardeur contre toute apparence ,
Allumant ses desirs esteint mon esperance,
Ses effrenés transports ne me refpefient pas,
L’injuste ajme ma fille, il cause son trefpas :
Et ‘veut me accabler, en m’en disant coupable,
D’vn indigne reproche vn pere miferables
Tar quel desreglement fuis-je persecuté
Avec tant d’injustice & tant de cruauté?
Si rien n’est Aordinaire en cette destinée ,
Et ma raison timide en demeure estonnée^.
Mais quoy? i’aj des garants de ces oppressions ,
J’ay pris contre le fort de bonnes Cautions.
Esprits dont la Doctrine en erreurs si feconde,
S’est acquis tant de gloire en trompant tout le monde,
Nous donnant la Vertu pour vn souvererain bien:
Que determinez,-vous d’vn fort tel que le mien?
zsúh ! voici ces Dofieurs de qui l’erreur nousflate:
tripote, Platon, Solon, Bias, Socrate ,
Tjtaque , PerianÀre , et le vieux Samien
Xenophane, Denis le BabtIonien,
Reuifitons *on peu cette troupe fçauante ,
Çnyde, tudoxe, Epicarme , Alcidame Cleanthe ,
Democrite, Thales d’vn immortel renom,
Tostdoine , Caliphe , Antifìene & Zenon,
Consultons Xenocrate & consultons encore
Fherectde, Ariston, Timée, Anaxagore*
Chrislpe , Polemon, le dofte Agrigentin,
Clytomaque, Architas, Anaxarque Plotin.
Reconfrontons encor tous ces Autheurs de marque]
Aristipe , Seneque , Epicìete et Plutarque^j.
Et bien sages Dofteurs et bien sçauants esprits,
Celebres Artisans du piege où ie fuis pris-y
En mes affiliions ie vous prens a partie ,
Et c’est contre vous seuls que ïay ma garentie.
Vous auez, assuré qu’en suiuant la Vertu
Jamais l’homme de bien ne se treuue abatu :
Qu’il est aux accidens vn Cube inebranlàble ,
Toujours en mesme assiette et de face semblable :
Que l’heur et le malheur, que le bien le mal ,
Et tous euenemens treuuent toufiours égal.
Qu’il est dans l’embarras des changemens du monde
De mesme qu’un Rocher dans le milieu de l’onde :
Que le couroux du Ciel a beau persecuter
Contre qui la Fortune en vain ose lutter :
De qui pour la Tempefie & les cruels orages ,
Les injustes mespris , les pertes, les outrages ,
Le feu Celeste et pur n’est iamais amorti:
Vous l’auez, soustenu , Vous en auez, menti.
Effrontez, Imposteurs, allez, ie vous défie
De me faire avouer voítre Philosophie :
Vous m auez, abusé de discours superflus ,
Changez, de sentimens ou ne vous montrés plus,
CLEO GENE ramassant les Liures.
O Cieux ! la cruauté d’une artaime si rude
Altere cet Esprit affoibly par l’estude,
Pressé de la douleur qui luy trouble le sens,
Il punit de ses maux des Sujets innocent.
La Folie du Sage,
ARG V MENT DV
QVATRJESME ACTE.
………………………………………………
- A RI S TE. 1
Qui ie suis? ie m en ‘vais te l’apprendre:
Un sujet merVeilleux fait d’vne ame et d’un corps ,
Un Pourceau par dedans , Un Singe par dehors:
Un Çhef-d’oeuvre de terre, vn miracle visible ,
Un animal parlant , raisonnable et risible
Va petit Univers en qui les éléments
Aportent mille maux et mille changements ->
Une belle superbe et frèle Architecture ,
Qui doit son ordonnance aux mains de la Nature, –
Ou des os tenans place & de pierre de bois,
forment les fondements le faite & les parois,
Vn mixte composé de lumiere & de fange,
Ou s attachent fans fin le blasme ou la louange:
Vaisseau plein d’esprits plein de mouvement
Reuestu de tendons, de nerfs , de ligamens ,
De cuir, de chair, de sang, de moeIle & de graisse,
Qui se mine à toute heure et se destruit sans cesse,
Ou l’ame se retire et fait ses fonctions
S’imprime les vertus , ou trempe aux passions :
*A qui toujours les Sens, ses messagers volages*
Des objets recognui raportent les images
»
LE MEDECIN.
Mais Seigneur
ARISTE.’
Vn jouet de la mort du temps,
Du froid , de la chaleur , du foudre et des Autans,
Et sur qui la Fortune establit son Empire
‘Tandis qu’il peut souffler iusqu à ce qu’il expire
LE MEDECIN
………
ARISTE.
Sur ce sujet te voila contenté:
LE MEDECIN.
Oui
A R I S T E
Dis moi donc aussi quelle est ta qualité ì
LE MEDECIN.
Moi? ie suis , Medecin au moins j’ en fais office
Et ie viens vous trouver pour vous rendre un service,
Ce qui me fait si tard chercher vostre Maison.
ARISTE.
Toi Medecin? J’ en doute avec quelque raison:
Que te proposes-tu pour guerir un Malade,
Ou les Lois d’ Hippocrate , ou l’art d » Asclepiade ?
Te sers tu de saignée ou bien de vomitifs ì
Uses-tu de Diette ou bien de Purgatifs ?
Quand tu bannis d’vn corps la chaleur estrangere ,
Est-ce par fin semblable ou bien par son contraire
Regardes-tu du Ciel le divers mouvement ?
Obserues-tu l’vrine ou le poulx seulements
Es-tu rationnel , ou bien simple Empirique ?
As-tu la Theorie ou la seule Pratique ?
Sçais-tu bien augmenter les effets generaux
Des pierres , des metaux , des sèls ,des mineraux,
‘Des herbes , des fleurs , des fruits , des racines ,
Des gommes des ligueurs , des sucs if des raisines?
Composer des Topics , faire les potions ,
Trochifques , purgatifs , poudres , confections
Electuaires , locs de diverses matieres ,
Epithemes , sirops ,. pillules & hieres? .
Entends-tu l’ Arabesque ? as-tu lu le Zoar,
Geber , Haly , Rhasis / Alquinde, Albumazar,
Auicenne , Averroes, Algazel, Albucate,
£t tous cesgrands Autheurs dont ton bel Art se flatte.
Sçais-tu comment appliquant l’Agent au Patient
En escarrant un nombre et le multipliant
On montes par degrés jusq’aux Intelligences ?
On attire ici bas les plus hautes puissances. .
As-tu quelque secret qui soit particulier
Dis-moj ,le Béresith t’est-il fort familier
Lis -tu le Mercana ? Sais-tu l’ Arithmancie
N’es tu point avancé dans la Theomentie
Qui fait divinement ses operations
Obtenant de là’haut des revelations)
Sais-tu l’analogie et l’ordre des trois Mondes \
La matiere premiere et les causes secondes ?
Et me dirois-tu bien l’origine d’où sort
Le feu de la vie et celuj de la mort \
Sais-tu par quels canaux les Divines Puissances
S’écoulent iusqu à nous parmy tes influences?
Ces Torrens infinis des benedictions ,
Ce concours merveilleux des Emanations?
Cognoj-tu cet esprit universel du Monde ,
Qui penetre dans l’air , dans la terre dans l’onde ?
Cet Esprit gênerai en vertu sans pareil
Dont la bonté diuine a remply le Soleil ?
Cette vnion de Sel, de soufre, de Mercure ,
Qui maintient tous les corps qui sont en la Nature}
As-tu quelque secret qui la peujl dégager
Du feu non naturel, de l’humide estranger,
Et du sel corrosif, qui luy faisans la guerre
Detruisent tous les corps qui vivent sur la terre ?
. LE MEDECIN.
Seigneur, Te sçay de plus ressusciter les morts’.
A R I S T E.
Quoy ? tu sais rappeler les ames dans les corps ?
LE MEDECIN.
l’en viens faire chez, vous l’heureuse experience.
A RI ST E.
O secret admirable \ o divine science \
Si tu n’es pas menteur , il faut que les mortels
Efevent ton Image au dessus des Autels
Donc un sujet éteint, par ta solìcitude
De la privation retourne à l’habitude?
Les esprits par ton art des enfers suscitez,
Reprennent de nouveau les corps qu’ils ont quittez, ?
En un mort pale et froid qu’on enferme en la biere
Tu reunis encor la forme a la matiere ?
C est où l’on n’a point cru de possibilité,
A moins que d’un effort de la Divinité.
Mais par quelques raisons établis ta créance
Di moy donc , l’ame est-elle accident ou substance ?
Resulte-t’elle point du seul temperament ì .
Est-ce une portion des feus du Firmament ?
Pythagore, Platon font-us bien definie
Quand ils l’ont appelée un nombre , une harmonie ?
Est-ce un air pur & chaud par le cœur temperé
Diffus par tout le corps & par tout attiré*
Est-elle de nature ou simple ou composée ?
Est-ce vne stame aqueuse, rune terre embraséeì
Est-ce vn Esprit subtil & plain d’agilité
Est-ce ‘une Enthelechie ? est-ce une qualité}
N’aurais-tu point aussi la ceruelle infectée
De quelque opinion absurde et rejettée ?
LE MEDECIN.
Seigneur sans perdre temps en definitions
le vous le ferai voir par demonstrations,
A RI ST E.
Suy-moj donc là dedans pour en faire une preuve
Qui puisse soulager la peine où je me trouve.